dimanche, avril 03, 2005

Hélène nous écrit de Krabi

Ao Nang, ce dimanche 3 avril 2005

Sont bien arrivés à Krabi une valise remplie de 22 kg de petites autos et jouets divers, un sac contenant 4 kg de peluches, et divers autres bagages, le tout dans un état très frais (normal, dirait Pascal, les soutes ne sont pas chauffées), ainsi que Jean-Paul Renvoizé, journaliste à l'Equipe qui nous a rejoints à Paris, Guy et moi-même, mais dans un état beaucoup moins frais, cela va sans dire.

L'escale à Bangkok nous a donné l'occasion de stresser un peu – arrivée un peu en retard sur l'horaire, bagages qui tardent à être livrés - mais aussi de nous rendre compte que la gentillesse des Thaïlandais n'est pas une légende. Comme je m'inquiète auprès d'une hôtesse qui était sur notre vol du risque de rater notre connexion pour Krabi, elle commence à m'expliquer comment rejoindre au plus vite le terminal pour les vols domestiques, puis disparaît, avant de revenir avec une hôtesse au sol qui nous prend en mains, téléphone à ses collègues pour les prévenir de notre arrivée, nous accompagne jusqu'au bus qui fait la navette d'un terminal à l'autre.

Nous débarquons à Krabi avec l'impatience que l'on devine. Henri est là qui nous attend.

Un trajet de quelques kilomètres jusqu'au nouveau Jungle-Grand Bleu où je renonce provisoirement à me souvenir de tous les prénoms de ceux qui sont là.

Grosse émotion avec Si One, la cuisinière "historique" du Grand Bleu. Un peu en retrait, mais visiblement émue aussi, une autre de l'équipe cuisine. Les garçons eux, sourient, s'affairent, montent et descendent les valises, les cartons, mais ne laissent rien paraître.

Nous déballons rapidement les valises pour en extraire la montagne de jouets qui vont pour l'instant être conservés par Muniti Aree car les enfants sont en vacances pour un mois.

Départ pour Ao Nang en bord de mer, où nous allons loger les deux prochaines nuits. Nous sommes un peu bousculé par le temps, car Henri doit partir à Phuket pour une réunion des associations francophones avec Mme l'Ambassadrice, réunion dont il pense qu'il ne sortira pas à grand chose de concret. Il suggère à Guy, qui pensait intéressant d'y assister, de plutôt faire la sieste – mais pas au-delà de 14 h La moite chaleur est massue…

Nous arrivons enfin, Hen est là, qui nous attend. Moment si intense… "Arrête de nous la faire pleurer", dit Henri. Mais ce contact nous fait du bien, à Hen comme à moi.

Installation dans nos chambre, petite douche bienvenue, avec de retrouver Hen à l'heure du déjeuner.

Hen parle aussitôt, sans que nous ayons rien fait pour l'y amener. Elle parle d'elle-même. Elle raconte ce qu'elle a vécu. Elle n'a pas vu la vague, elle dormait au-dessus du Grand Bleu. Réveillée par le bruit, les cris et se précipitant à la fenêtre, elle a vu de l'eau, beaucoup d'eau. Elle croit que, depuis l'hôtel de la Chinoise (le Phi Phi Hôtel), on a ouvert les grands réservoirs d'eau pour lutter, pense-t-elle, contre un incendie. Elle ne pense qu'à une chose : "Nous aussi, nous avons des réserves d'eau sous la cuisine du Grand Bleu. Je vais les mettre à la disposition pour lutter contre le feu". Et elle descend de sa chambre, découvre qu'il n'y a plus personne dans la cuisine du restaurant mais que le gaz est resté allumé. Elle veut aller l'éteindre… se retrouve emportée par le maelström, s'accroche de longues minutes à un petit arbre…

Ensuite, elle parle des gens que nous aidons. Guy dit que nous sommes impatients de redonner un vrai boulot aux gens, pas seulement de les assister. Elle nous explique alors cinq des projets de micro-crédit. Le premier est la boulangerie de Patcharee. Patcharee avait appris le métier de boulangère et s'est déjà remise à fabriquer des baguettes qui partent tous les matins de Krabi pour Koh Phi Phi. Mais elle voudrait retravailler à KPP et acheter une machine à faire les croissants. Elle sera No. 1 sur la liste. Un deuxième projet concerne une petite agence de voyages, un troisième une boutique de souvenirs.

Hen nous raconte alors comment, elle fait sa propre thérapie. Ni elle, ni personne autour d'elle, n'ont reçu la moins aide d'un professionnel . Il n'y en a pas à Krabi. Alors, d'elle même, elle a essayé de revenir à KPP. Elle avait peur non pas des fantômes, comme beaucoup d'autres ici, mais de ce qui se passe dans sa propre tête. Elle est revenue une première fois quelques heures, sans pouvoir s'approcher du Jungle Bar ni même du Grand Bleu autrement que de loin. Puis elle est revenue une deuxième fois un peu plus longtemps, mais le Jungle Bar reste un endroit que son esprit lui refus de fréquenter pour le moment. L'idée de rouvrir le Grand Bleu à KPP fait son chemin en elle, petit à petit, et elle sait maintenant que c'est ce qu'elle fera si le gouvernement donne le feu vert pour reconstruire. Elle comprend que sa démarche est la bonne pour "réapprendre" [la vie normale]. Cette expérience lui permet à son tour d'aider les autres à qui elle explique ce qu'elle a fait, comment elle a progressé dans la guérison et continue de le faire.

Elle nous explique que beaucoup de gens n'ont pas encore réussi à faire ce pas -revenir à KPP-, qu'ils ont perdu confiance en eux mêmes au point que, même si on leur propose de réapprendre à faire quelque chose ailleurs, dans un premier temps ils s'en sentent incapables, sont persuadés qu'ils vont échouer. La catastrophe les a tellement fragilisés qu'ils ne veulent parfois même pas essayer.

Elle nous montre deux petits batiks réalisés par des enfants. Elle avait fait savoir que, si des personnes voulaient apprendre la technique, Muniti Aree leur apporterait le savoir-faire et le matériel pour la réalisation. Beaucoup de volontaires, et, à l'arrivée, seuls deux enfants (un garçon et une fille) qui aboutissent. Là encore, par manque de confiance.

Nous reparlons de l'aide apportée par Muniti Aree. Un autre problème est l'âge. Hen est en effet très souvent plus jeune que les gens à qui l'on veut proposer de l'aide. Alors, il faut faire semblant de venir juste pour prendre des nouvelles, renouveler les visites, glisser quelques mots dans la conversation. Apprivoiser. Cela prend du temps pour ne pas blesser.

Nous nous inquiétons aussi de ses parents, qui ne vont pas trop bien. Mais quel parent peut accepter de perdre son enfant. "Et encore, dit-elle, ils auraient pu en perdre deux".

Elle parle aussi de sa colère passée quand, dans les premières heures qui ont suivi la catastrophe, elle cherchait Aree partout et que le bruit s'est répandu qu'on l'avait vue. Les personnes qui rapportaient ce témoignage étaient catégoriques. Elle a compris plus tard. Elle portait un T-shirt rose au moment où elle a échappé à l'eau. Comme ce T-shirt était mouillé et inconfortable, quelqu'un lui a donné un T-shirt blanc, qu'elle a mis. Comme Aree et elle se ressemblait, dans la confusion, on avait cru qu'il s'agissait des deux, l'une en rose, l'autre en blanc. Elle n'a plus cette colère aujourd’hui, car elle a compris d'où venait la méprise.

Premiers constats sur le terrain, premières leçons pour nous : nous n'imaginions pas à quel point les gens étaient cassés et avaient tellement perdu confiance en eux-mêmes, rendant difficile leur "réintégration". Hen dit que les femmes semblent les plus aptes à faire, à réapprendre, à tenter.

Pour parler de choses plus légères, plus gaies, voici la nouvelle du jour : Yet – dont nous payons le salaire – est à l'hôpital de Phuket, sur le point d'accoucher d'une petite fille. Que ce soit une fille est une vraiment bonne nouvelle : dans nos bagages, une montage de vêtements pour jolies petites louloutes…


Hélène Morelle

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